samedi 28 mars 2009

Blueprint & Illogic

Deux albums pour me ravir ce matin dans ma boîte aux lettres, tous deux estempillés midwest hip-hop et deux artistes parmi les plus intéressants du rap contemporain. En tout cas ces deux gars savent produire de la bonne musique et leurs productions figurent à chaque fois en très bonne place dans mon panthéon hip-hop personnel.
Le nouvel effort de Blueprint est instrumental, et comme il l'avait déjà réalisé avec Chamber music on savoure ici la patte unique du producteur. La finesse dans la réalisation résume assez bien son travail, Blueprint est toujours élégant, il n'y a pas de surcharge dans ses beats ou dans le choix de ses samples. Peut-être cela manquerait-il alors d'un peu de caractère, de chien, mais malgré tout le disque s'enfile sans anicroche, tout coule facilement, la patte d'un producteur sur de son talent.
Pour le nouvel album d'Illogic et en attendant une écoute plus détaillée, il suffit de stipuler que Blueprint est absent à la production pour qu'un sérieux doute m'habite sur la qualité de l'ensemble, Ill poetic fabriquant l'ensemble des instrumentaux de ce Diabolical Fun. En fait il m'a suffit de lancer le disque pour que mes doutes partent en fumée, Illogic est un grand emcee et impose son rythme d'emblée et sans ambages, la marque des grands. J'y reviendrai peut-être plus tard.

mercredi 25 mars 2009

Piotr Bednarski - les neiges bleues

J'aimerais seulement réussir à bien parler de ce livre incroyable, de la passion qu'il a convoqué pour moi, et de sa blanche beauté, du luxe de sa langue, de la richesse de son propos et puis aussi de l'universalité de sa quête. Ce livre est une ode à la liberté, rien de moins. En fait, à peine refermé je pensais déjà que si la littérature était capable de fournir à ses lecteurs des bouquins de cette trempe, alors il me suffisait d'être là et de continuer à saisir cet art fluctuant capable des plus étranges fulgurances.
Piotr Bednarski raconte ici son enfance foutue en l'air par les soviètiques. Fils de Polonais coupable de noblesse, il fût déporté en compagnie de sa mère dans l'anti-chambre du goulag où son père purgeait une peine sans nom. Là-bas tout était bien entendu interdit, fermé, surveillé, la jeunesse sempiternellement broyée, continuellement étouffée ; l'amour de Staline exigeait une passion totale qui n'en tolérait aucune autre. Mais je ne voudrais pas parler de ce livre de cette façon, il n'est pas seulement ça. Non que cette histoire fût banale, l'horreur serait qu'elle le devienne d'ailleurs.
J'aimerais aborder ce livre par le figuré, l'instinctif. Il m'arrive souvent lorsqu'un roman me happe d'attrapper un stylo et de souligner, de recopier certains passages en toute fin de livre. Peut-être cela suffirait-il ici à laisser entrevoir ce qu'on peut y lire.
P38 : "Et puis, la beauté est nécessaire partout, même là où s'ébattent les ours blancs".
Savonarolle. Circassien. Géhenne.
P43 : "Je me ferai moine bouddhiste. Vous, vous volerez, et moi, je prierai"
P46 : "Les femmes russes pleuraient peu de temps, les larmes leur manquaient tant étaient nombreux les malheurs qui les frappaient. Les Russes avaient appris à pleurer sans larme".
Dix-huit chapîtres composent "Les neiges bleus". Chacun d'eux se termine pas la mort d'un des protagonistes, qu'il s'agisse d'un enfant ami du narrateur (Piotr Bednarski donc), ou bien d'un membre de sa famille, d'un agent du NKVD, d'un soldat ou bien d'un Bienheureux, tous meurent ou s'en vont, la vie sur la toundra semble n'être qu'un court passage ; fugitive et fuyante elle se laisse dévorer par le froid.
Piotr Bednarski écrit d'une langue riche et magistrale qui évoque beaucoup de choses. Erudite, précise, elle sait laisser libre court au talent d'évocation du poète. J'ai peu lu d'écrivains de cette trempe, capable de transformer l'anecdote en tragédie grecque, de faire du particulier une fable morale. On apprend ici plus sur l'homme que dans n'importe quel traîté d'anthropologie, Il y a cette science de la digression et l'immédiat recentrage car la mort rôde en permanence. Sublimement beau.

Eddie Bo en forme de spectre

Eddie Bo est mort (1930 / 2009) et quand même, faudrait saluer ici ce sacré musicien neo-orléanais. Sa musique, c'était du rock, du r'n'b et de la soul, et du funk évidemment. Sa rareté constitait en ce qui habite naturellement tous ceux qui respirent l'air de la Crescent City, son unicité. Eddie Bo n'était personne d'autre, écoutez-donc sa musique un jour où l'air se charge de 100% d'humidité, insallez-vous dans l'ombre d'une glycine et servez-vous donc votre apéritif préféré, vous y entendrez peut-être son unique energie.



Were Doing It (Thang) Pt.2 - Eddie Bo & The Soul Finders

From This Day On - Eddie Bo

jeudi 19 mars 2009

David Porter - Victim of a joke ?

Le 10 décembre 1967 est une date clef pour Stax records, dans le tragique accident d'avion qui emporte Otis Redding ainsi qu'une partie de son groupe les Bar-Kays, la firme de Memphis voit stopper net son ascension incroyable entâmée aux débuts des années 60. Commercialement Stax perd dans cet accident son plus gros vendeur mais également l'âme de soulsville et avec le décès d'Otis Redding, le son de Stax est à réinventer.
A cette tragédie s'ajoute peu de temps après le rachat d'Atlantic (historique distributeur des disques de la firme) par Warner au printemps 1968 et qui dans la même opération et à la suite de monstruosités juridiques telles que seul le Droit peut nous en pondre, Stax perd les droits de son catalogue et se retrouve donc complétement nu. C'est "Dock of the bay" d'Otis Redding qui viendra renflouer les caisses, le disque posthume devenant pour tous les fans en pleur de Mr Pitiful une référence en matière de r'n'b et de soul music teintée de pop.
Si on ajoute à cette série noire l'assassinat de Martin Luther King à Memphis même et qui plongea la ville dans des émeutes sans précédent (les incendies épargnant les locaux de Stax), on comprendra aisément combien il était nécessaire pour Stax de réinventer sa musique. Le directeur artistique de la firme, Al Bell, y remédiera rapidement en lançant dés 1969 la bagatelle de 27 albums dans lesquelles s'illustreront notament quelques jeunes pousses par ailleurs plus habituées aux scéances d'écriture qu'aux spots des salles de concert. Le "Hot buttered soul" d'Isaac Hayes fera bien entendu partie du lot et figurera contre toute attente comme l'un des best-sellers de la firme, et ce malgré son format totalement novateur pour l'époque, sa soul se diluant dans un déluge de cordes figurant un écrin magnifique pour la voix de baryton d'Isaac Hayes. Le tournant est annoncé.
David Porter travaillait depuis toujours avec Hayes, contruisant en tandem quelques uns des plus beaux tubes de Stax pour Carla Thomas ("B-A-B-Y"), The Emotions ("Show me how") ou encore Sam & Dave. Le début de la carrière solo d'Isaac Hayes figurant la fin de cette prolifique collaboration, David Porter est bien obligé lui-aussi de revoir ses ambitions à la hausse ou en tout cas de revoir sa carrière à l'aune d'un jour nouveau. C'est la grande force d'Al Bell d'autoriser à cette époque les formats les plus variés tout en osant un son neuf et en offrant dans le même temps une liberté artistique totale à ses artistes.
Lorsque David Porter signe "victim of a joke ?, an opera" en 1971, il a eu toute latitude dans le studio pour réaliser ses ambitions. C'est un disque baroque qu'il offre à Stax, complétement dans son époque, la grand messe psychédélique s'étant peu à peu essouflée avec le décés d'Hendrix et les errements de Sly Stone, David Porter convie au chevet de sa soul orchestrale des influences gospel mais aussi résolument modernes, gorgées de rock psyché. Chacun des huit titres de l'album est précédé de courts sketches parlés, des enregistrements de voix et la transition avec les parties chantées n'en est que plus frappante. Porter est grand, il chante d'une voix profonde ses propres compositions mais c'est véritablement sur la reprise du standart de Tin Pan Alley "The masquerade is over" (long morceau de presque 10 mins) que son talent se fait le plus éclatant, que sa science des arrangements est la plus éloquente, les coeurs explosifs se magnifiant au contact des déflagrations sonores des Memphis Horns. Stax a toujours basé sa renommée sur l'excellence des ses musiciens studio (de Booker T au Mar-Keys en passant les BAr-Keys) et sur ce disque la qualité de son son se fait toute puissante.
Malheureusement pour David Porter, aucun des titres de son album ne fera le bonheur des radios et la carrière de l'ex-associé d'Isaac Hayes ne connaîtra jamais le même essor que celle de ce dernier. Malgré tout il nous reste ce disque et quelques autres, et donc le bonheur d'écouter cette soul music impeccable qui a emprunté un instant des habits de clown.


Airplane Ticket - David Porter

mardi 17 mars 2009

Big Apple rappin'

Je ne sais pas pour vous, mais moi, les beaux jours qui reviennent doucement, les jeunes filles qui ressortent leurs bicyclettes, le printemps, enfin bref, ce quelque chose dans l'air me donne l'absolu besoin de m'entretenir les esgourdes à coup de grosse pomme, et pas n'importe laquelle. Sur cette magnifique compilation éditée par le label Soul Jazz, on retrouve avec délice tout ce qui faisait l'insouciance du hip-hop à ses débuts, quand celui-ci se jouait encore la fleur au fusil et combinait sans discrimination le break, le graph, l'art des platines et celui du micro. Tout le monde posait et en terme de son, il faudra attendre encore quelques temps avant de retrouver une telle legéreté associée à cette finesse musicale. Ouais, tout le monde posait.


Big Apple Rappin - Spyder D

samedi 14 mars 2009

Un jour j'irai vers l'irréel


China Miéville - Les Scarifiés


Et Bellis commença à comprendre l'immense machination dont elle était la victime inconsciente depuis tout ce temps... Je résumerais donc 850 pages comme ça. China Miéville n'est pas chiant, enfin pas toujours, il sait écrire correctement et filerait la nique question inspiration à n'importe quel littérateur parmi ses contemporains. Malheureusement il n'y a pas que l'inspiration.
L'histoire de Bellis est assez belle, son exil volontaire de Nouvelle-Crobuzon, son enlèvement et sa séquestration sur Armada, ses trois flirts, là où va Armada même, ville pirate cosmopolite rassemblant des milliers de navires et dérivant lentement sur les flots, imposant son règne dur aux plus hardis croisant dans ses parages. Souquez, souquez, moi j'en ai soupé.
Oui c'est beau, on est happé par l'histoire, ses personnages ont du caractère même s'ils finiront par se reveler creux au possible. on est bien loin de Perdido Street Station à ce propos. Les Scarifiés est un roman qui déroule un fil de laine infini et qu'il a bien fallu casser à un endroit. Mais nul souffle n'habite ce bouquin finalement qui vaudrait d'être lu en partie pour une seule scène absolument démente : l'attaque des femmes-moustiques sur l'île ghetto de cette espèce. Voilà une scène qui renverse. Le convoi doit parcourir trois kilomètres en zone non protégée, on entend déjà des cillements d'ailes, des vrombissements sourds. Hommes et femmes, sous un soleil de plomb accèlerent la cadence, fermement encadrés par des soldats cactacés en armes. Une anopheliae approche. Elle n'a que la peau sur les os, ses muscles saillent, tendus vers la faim qui l'agite, qui ne cesse de la tourmenter. Sanglante est la raison qui l'anime, elle ne peut pas interrompre sa course, elle sait les gardes armés, elles ne voit que la chair et les litres de sang qui s'avancent. Son visage se tend, de sa bouche naît une trompe aiguisée, son vol se fait plus rapide et plus prompt, elle va manger très bientôt. A ce moment là, les gardes lâchent les cochons et les moutons en arrière de la troupe. Eux connaissent la panique, et ce vrombissement qui ne cesse de ternir encore l'espoir de fuite. Le bétail court, l'anopheliae se projète vers sa cible, son dard s'élançant comme au devant d'elle. Elle s'abât sur un porc, ses jambes l'enserrant et sans coup de semonce, embrasse avec une force inouie le pauvre animal. Il ne mettra qu'une minute ou deux à predre conscience. Elle en mettra trois à se repaître. Lui se déconstituera sous nos yeux. Elle retrouvera des formes de femme dans le même temps. Voilà pour la scène incroyable du livre. Elle prend le coeur du lecteur à mesure de la progression du groupe. Evidemement, la retranscription que j'en fais ne la met peut-être pas à son avantage mais passons...
China Miéville propose dans ses livres un bestiaire incroyable d'êtres hybrides, des animaux, des plantes, tout cela sous une forme d'hominidés. Ces croisements improbables, s'ils semblent freiner la relation au livre dans un premier temps sont au contraire tout le sel qui nous accroche à l'oeuvre à mesure de lecture. On peut se lasser de ces psychologies effleurées et de ces personnages un peu vides, uni-sensitif, mais quant à leur modèle de représentation, il faut avouer à China Miéville un grand talent d'inventeur. je passe volontairement sur le rôle joué par les scarifiés dans le roman, ils n'ont aucune substance sinon celle qui voudrait bien y placer. Uther Dol avait bien plus de caractère, China Miéville serait bien inspiré de lui dedier son prochain livre.

mardi 3 mars 2009

Richard Hugo - Si tu meurs à Milltown


Je suis un imbécile mais vous le saviez déjà. Alors à la suite d'une discussion sur un forum de ma fréquentation, je m'étais remémoré ce bouquin de Richard Hugo dont j'avais dévoré le premier roman, "La mort ou la belle vie", déjà traduit chez 10/18 et que j'avais adoré. "Si tu meurs à Milltown" dormait sur le tas de livres qui me sert de table de chevet et comme il s'agissait uniquement comme je le croyais d'un recueil de nouvelles et poèmes, je ne cessais d'en reporter la lecture. J'aurais du continuer d'écouter ma flemme. Mais je suis un imbécile rappelez-vous.
"Si tu meurs à Milltown" n'est pas qu'un recueil de poèmes, il figure également dans sa table un second roman inachevé, responsabilité due à la leucémie foudroyante qui emporta Richard Hugo pendant sa redaction. Alors voilà, il n'y a rien de plus stupide que de lire un roman noir qui s'arrête à sa 80ème pages. Parce que des romans noirs, j'en ai arrêté pléiade hein, stoppés nets tant l'intérêt proposé avoisinait le degré zéro de la littérature... Mais des romans noirs excellents, construits dés la première ligne comme une fulgurance géniale et stoppés nets en plein envol, jamais !
Richard Hugo est un maître poète, un type qui se réclamait de Carver (l'immense, l'unique !) et était copain avec Jim Harrison, ça se pose comme une rareté tout de même. "The Saltese Falcon" dont je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeller l'immédiate référence reprend l'histoire du shérif adjoint Al Barnes là où elle se terminait dans "La mort ou la belle vie", le décors planté, l'intrigue prend d'emblée de l'ampleur avec un triumvirat de situations : un mari qui bat sa femme, une jeune fille qui disparaît et une femme retrouvée morte dans une vielle Falcon perdue dans un garage fermé depuis 30 ans. Et rien de tout ça ne sera résolu vous pensez bien. On en reste là, le bouquin fermé, et on compte les mouches au plafond ; une môme a disparu, un assassin est en fuite et le mari violent vient de se prendre une décharge de chevrotine. Et on continue de compter les mouches.
Mais je vous disais que j'étais un imbécile.


PS : "Si tu meurs à Milltown" propose en sus de ce roman inachevé quelques textes critiques de l'auteur ainsi que de nombreux poèmes vraiment magnifiques, sa lecture n'en est donc pas tout à fait vaine. Ne vous privez donc pas du plaisir de découvrir un auteur peu prolifique mais réellement attachant. Ne pas lire The Saltese falcon par contre, hein, de toute façon, je vous ai déjà tout dit, ou presque...