mercredi 2 octobre 2013

Jean-Philippe Jaworski - Même pas mort

Il est des écrivains qui posent des problèmes. Ceux que d'abord on lit avec difficulté, ou dont on dénoue trop facilement les fils de l'intrigue. Il y ensuite ceux qui mentent ostensiblement pendant les trois quart du bouquin et qui se décident au final, à éventer leur histoire l'air de dire "de rien pour la balade". 
Dans le polar on trouve les écrivains pervers, désolés de n'avoir pas compléter leur première année de médecine et qui n'aiment rien plus que d'éviscérer leurs personnages face au lecteur.
L'Heroic Fantasy quant à elle s'adonne au joyeux plaisir de l'élongation narrative : comprenez, on en prend minimum pour mille pages, quitte à couper le tout en quatre ou cinq tomes.
Et voilà Jean-Philippe Jaworski, l'homme qui ne se trompe jamais. Excusez du peu, à force de lire, on perd certaines bonnes habitudes glanées à l'époque de nos découvertes adolescentes des Zola, Balzac, Maupassant et Flaubert. Lire Jean-Phiippe Jaworski, c'est redécouvrir qu'une phrase peut être belle et efficace, longue et rythmée, poétique et vulgaire.
Ce premier tome est un tombeau, d'ailleurs son titre, Même pas mort, voudrait absolument nous dédire mais ça ne prend pas. La quatrième de couverture renseigne et indique : "je m'appelle Bellovèse, fils de Sacrovèse, fils de Belinos. Pendant la guerre des Sangliers, mon oncle Ambigat a tué mon père. (...) Là-dessus, le temps a suivi son cours? Nous avons grandi. Alors mon oncle s'est souvenu de nous. Il a voulu régler ce vieux problème : mon frère et moi, il nous envoyés guerroyer contre les Ambrones. (...) Mais il est arrivé un accident. Je ne suis pas mort".
Quand je parlais de tombeau....
L'art de Jaworski s'exprime d'abord dans l'embrouille, il est un grand manipulateur - on s'en était rendu compte lors de la lecture de Gagner la Guerre - mais si le point commun devait être trouvé avec cette autre roman, il n'aime rien plus que de faire voir ce qu'il sait que nous ne verrons pas de suite. Grosso modo : vous saviez tout, mais vous n'avez rien pigé. 
C'est une façon d'envisager l'intrigue d'un roman et si elle nécessite un art parfait dans la construction du récit, c'est un écueil que ne craint pas Jaworski. Aussi son roman entrecroise les fils temporels et de conscience si bien qu'il est compliqué dans un premier temps de situer le héros. D'abord personnage de fiction, on entrevoit la réalité de son monde Celte au travers de la multitudes d'informations que glisse l'auteur. Il faudra avancer dans le livre pour remonter le temps et comprendre le cheminement des deux frères, y voir plus clair dans les conflits et les clans, pour distinguer les royaumes, les rois et les héros. Le rapprochement qui me vient alors immédiatement, c'est Gene Wolfe et le fabuleux "l'ombre du bourreau" qui distille tout comme Jaworski les indications de temps et d'espace et aime noyer ses personnages et ses lecteurs dans le flou de la création.
Comme à son habitude, guidé par le mot, Jaworski livre quelques fois des pages à la beauté somptueuse. On pense à l'escalade du mur de la cité, aux courses dans la forêt façon Mythagos, et enfin aux embruns de l’île des sorcières.
Trois tomes sont prévus pour ce voyage en compagnie de Bellovèse et pour tacher d'entrevoir, un peu, la magie de ce monde celte enfoui dans nos mémoires hexagonales. 

samedi 6 avril 2013

BlackFace Banjo - Frantz Duchazeau (Sarbacane 2013)


Frantz Duchazeau continue chez Sarbacane sa série d'albums consacrés à la musique de la première moitié du XXème siècle aux USA (enfin, pour ces dernières précisions, je me fie expérimentalement aux albums déjà sortis).
La belle couverture rouge façon affiche frappe d'abord positivement et flatte l’œil.  Davantage que pour Meteor Slim, Lomax ou Les jumeaux de la Conoco Station, cette illustration de couverture confère d'emblée à l'album la cohérence suggérée par le titre de l'ouvrage, BlackFace Banjo, en plus d'être très réussi en tant que couverture : immédiatement repérable dans le dédale de nouveautés des tables des librairies.
Parcourir les pages ne dément pas la première impression de qualité et l'ouverture pose parfaitement le contexte de l'époque. Deux acteurs Blancs grimés en Noirs façon Chocolate band (très en vogue à l'époque) parodient les Noirs en usant d'aphorismes comme autant de lieux communs : le mensonge, la paresse, l'infidélité, le tout devant un public Blanc écroulé de rire. C'est alors que frappe le Coon Coon Clan qui incendie le petit théâtre de rue et moleste les acteurs de ce show raciste.


La suite de l'histoire est une succession de saynètes qui verront BlackFace Banjo s'engager dans la troupe un brin véreuse d'un apothicaire de pacotille, tomber presque amoureux et rencontrer un succès parfaitement mérité.
Comme à son habitude, Duchazeau régale par son utilisation parfaite du noir & blanc, tout en subtilité. Il trouve des solutions graphiques avec une patte résolument personnelle (j'aurais vraiment beaucoup de mal à lui trouver une filiation). S'ajoute ici une maîtrise du média beaucoup plus pertinente dans la narration ce qui occasionne des planches de toute beauté.
Coup de coeur évidemment !




dimanche 31 mars 2013

Du vieux et du neuf.

Deux livres (entre autres) sont arrivés à la maison cette semaine, deux univers assez personnels, chacun dans un genre sensiblement différent.
Il y a tout d'abord la réédition chez Les Grandes Personnes de Lafcadio, le lion qui visait juste, petite merveille drolatique que nous devons à Shel Silverstein.
J'ai découvert le travail de Silverstein (a priori incontournable outre-atlantique) par le biais de son recueil de poésies en image, le bord du monde, chez MeMo. A la maison tout le monde avait adoré ces petits textes qui mélaient adroitement un dessin très libre façon croquis de coin de table et une écriture toujours jubilatoire.
Du coup, ce Lafcadio a rejoint la maison et est tout aussi réjouissant, parce que totalement décalé : imaginez un lion qui non content de se faire "carabiner" par quelques chasseurs en vient à manger ceux-ci, récupérer leurs armes et leurs cartouches pour devenir ce lion improbable, capable de "toucher les cocotiers, et bientôt les noix de coco dans les cocotiers, puis les baies dans les buissons, puis les mouches sur les baies, puis les oreilles de ces mouches, et la poussière sur leurs oreilles, et enfin la lumière du soleil sur la poussière".
"Alors, diriez-vous qu'il était bon tireur ?
Il était le meilleur du monde, un point c'est tout".

Oliver Jeffers revient chez Kaleïdocope avec un magnifique album : cet élan est à moi. Une nouvelle fois c'est d'emblée beau, voire splendide, un mélange adroit de peinture à l'huile et d'autres textures. J'aime beaucoup sa façon de travailler les pleines pages.
Malgré, je lui ferais toujours le même reproche, le texte n'est pas vraiment à la hauteur de son talent graphique, c'est sans doute lié à la langue anglaise dont les figures ne peuvent pas se traduire si aisément. Dommage, Oliver Jeffers gagnerait à mettre un peu de folie dans ses albums.

jeudi 21 mars 2013

Sailor Twain - Mark Siegel

 Mark Siegel est éditeur à New-York, en particulier des bonnes bandes-dessinées européennes. Sailor Twain est son premier ouvrage en tant qu'auteur et à ce titre il mérite d'abord le détour, ensuite la critique. 
Ca part d'abord d'une bonne idée, de plusieurs bonnes idées. Un steamer, l'Hudson, le Capitaine Twain, et une sombre mythologie liée à une sirène. 
Côté support, c'est réalisé à la mine de plomb, sur 400 pages. Alors forcément, si je dois reconnaître volontiers a capacité de Siegel à croquer ses personnages, son dessin s'essouffle un peu sur la longueur. Ceci dit, le rythme lancinant du steamer sur l'Hudson confère à cet album un doux charme qui n'est pas pour me déplaire.
Dans une interview réalisée à Angoulême lors du dernier festival, Siegel avouait que si auparavant il se concentrait davantage sur le coté graphique de la bande-dessinée, la capacité d'un auteur à circonscrire une histoire le captive beaucoup plus dorénavant. Evidemment. 

Le début de l'histoire peut se lire en suivant ce lien.

mercredi 20 mars 2013

Lire


Madame Le Lapin Blanc, du grand, de l'immense, que dis-je du fabuleusement doué Gilles Bachelet, nous a permis aux filles et à moi de nous rappeler en quoi Alice au pays des merveilles est une oeuvre dense et qui s'adressent décidément à différents publics : enfants aussi bien qu'adultes.
En plus d'être incroyablement beau, Madame le lapin blanc est aussi furieusement malin et son histoire mêle tendrement les contraintes liées à la vie de couple à celles, beaucoup moins prosaïques, de partager sa vie avec le Lapin de Lewis Carroll.
A lire !

vendredi 15 mars 2013

Isaac le Pirate - Christophe Blain


Hier soir je relisais le premier tome d'Isaac le Pirate de Christophe Blain. Ca faisait un bon moment que je n'avais pas sorti un album de cette série (en cours ! ) parce qu'avec les années, j'ai largement pris plus de plaisir à lire Gus ou Donjon que ces Isaac par lesquels j'avais pourtant mis un large pied dans une bande-dessinée moins conventionnelle.
Ce qui m'a d'abord frappé, c'est le dessin pas très bon dans les premières planches. On est très loin de la maestria de Gus ou Quai d'Orsay. C'est un peu moche, ça manque de vitesse, de brio. De même, la narration est empruntée, passer d'une case à l'autre ne se fait pas avec autant d'intelligence que par la suite. Bon.
Ceci dit, l'album se déguste tout de même, Blain réussit dés ce premier tome à créer des personnages auxquels on s'attache d'emblée. Et ça c'est très fort ! Du coup, d'une historiette un peu mal habillée qui voit un Isaac peintre quitter Paris pour les Amériques à bord d'un bateau pirate, laissant derrière lui son aimée, on passe à un formidable album empli de drôleries, de cocasserie (oui !) et de situations qui invariablement font venir le sourire. C'est Guy Vidal qui s'occupait je crois de cette collection Poisson pilote chez Dargaud, grâce lui soit rendue d'avoir su voir derrière le verni le formidable auteur qu'est devenu Christophe Blain. Même si ce dernier avait déjà publié chez Dupuis je crois bien, avec d'ailleurs un meilleur dessin. Isaac est très simple graphiquement, c'est presque une ligne claire. Ca évolue par la suite et le trait se grise et mord largement dans la couleur pour devenir si caractéristique.
Concernant l'histoire, Blain fait d'Isaac un récit d'initiation croisé avec un roman d'aventure : en gros, on ressuscite les London, Stevenson, Melville, etc etc. Blain ajoute à ça son ingrédient : l'humour. Drôle et drôle et le plaisir évident que Blain prend à se coltiner ses personnages (Isaac, Henry, Jacques !) condamne le lecteur à invariablement tourner les pages et continuer d'avancer avec ces derniers.
Grande série, Isaac le Pirate mériterait une fin, elle n'est pas ce module d'apprentissage qu'on oublie après l'avoir passé, non, il faut que Blain se donne les moyens d'y mettre un point final comme Stevenson fermait son île au trésor tout en aménageant une sortie digne à Long John Silver, Isaac le mérite.