dimanche 30 mars 2008

Takana Zion - Zion prophet

L'affirmation selon laquelle le reggae serait mort et enterré depuis le début des années 80 ne choque plus grand monde tant les Sizzla Jah Cure et autres Capleton ont un peu sclérosé le marché, rendant opaque leur musique pour le profane simplement en quête d'un peu d'herbe. Tout le problème du reggae vient de cette idée d'une musique à fumette, du coup peu importe ce que l'on écoute, pourvu que l'on plane. Avec le début des années 90 la scène française connut un regain comme peu par ailleurs dans le monde, la profusion des concerts de "stars" jamaïquaine" et le certain professionnalisme de leur tourneur réussirent à propulser à la face d'une jeunesse dîte alternative un bout de spiritualité rasta, un bout de combat social (la Jamaïque des années 70 ressemblant à s'y méprendre à une Afrique du Sud sous apartheid) et une posture de joueur de djembé dans les rues commerçantes, le tout enrobé d'une musique de grande qualité interprétée par de vieux ténors, les Culture, Burning Spear, Israel Vibration et autre Gregory Isaac arpentant l'hexagone bien souvent avec le même groupe (qui ne se souvient pas à l'époque de ce guitariste lead anglais à moustache ??). Bref, le coeur de l'adolescent français bât la syncope et son esprit de s'emmerveiller au son des tambours africains devenus soudain assez proches. Manjul est de ceux-là, né en 1976, les années 90 déterminérent sans aucun doute son engagement dans cette musique. Et quel engagement ! Après quelques visites aux Comores, à Mayotte et à la Réunion, le multi-instrumentiste Manjul décide de monter son studio au Mali, à l'endroit même où un certain son africain teinté de blues et de spiritualité s'est forgé depuis les années 70. Le studio Humble Ark va alors mixer la diversité incroyable des voix africaines (le Mali et en particulier Bamako figurant comme terre d'exil prioritaire pour une majorité d'africains fuyant les conflits de leur pays d'origine), les mélant aux sons roots concoctés par Manjul qui réussit à y introduire les instruments traditionnels d'Afrique : la Kora, le balafon, le tambour, etc... En 2003, il enregistre un disque avec Baco ("Baco meets Manjul") chez Nocturne, réunissant des sons de l'océan indien avec un roots assez lourd et la voix éraillée de Baco. Se succédent des collaborations notamment avec Tiken Jah Fokaly, immigré ivoirien vivant lui aussi à Bamako jusqu'à ce dique incroyable de Takana Zion qui donne son titre à cet article, un "Zion Prophet" dans lequel éclate toute la grâce d'un chanteur à la voix innouie, quelque part entre l'émotion d'un Bob Marley et la facilité vocale d'un Jah Mason. Takana Zion, Guinéen d'à peine plus de 20 ans, éblouit par sa générosité, chantant tour à tour en anglais, en français et dans ses langues maternelles Soussou et Malinké, il éclabousse de son talent toute la production de Manjul, renvoyant loin dans les cordes cette image du reggae comme une musique apaisée. Rien n'est apaisé chez Takana Zion, il y a une fureur qui transpire dans son blues, dans la chaleur soul de sa voix (on pense parfois à Curtis Mayfield lors de certaines intonations). Alors bien sûr tout n'est pas essentiel dans ce disque, certains refrains en français horripilent gentillement ( sur "Conakry" pourtant magnifique hymne à cette ville ou sur "La voie de Mount Zion") mais l'ensemble offre sans aucun doute un écrin digne de l'une des futures plus belles voix d'Afrique, un chanteur qu'on meure d'envie d'entendre prendre encore plus de risques.





Et une version dub pas très réussie d'un pourtant énorme morceau : Ematoba, dont je vous engage à écouter la version originale.



Je vous mets le clip de Sweet Words qui vous puissiez voir la bobine des deux zozos à Bamako.

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