dimanche 21 septembre 2008

Franck Bourgeron - La sainte Trinité, fantaisie religieuse

Alors que la première chose qui éclate quand on attrape un album de Franck Bourgeron est la qualité de son dessin, je dois avouer quant à moi que c'est surtout la façon unique qu'il a de faire dialoguer les personnages qui me fait sans cesse revenir vers ses livres. Faut dire que la BD offre souvent un spectacle bien pauvre, une sorte de taudis culturelle lorsqu'il s'agit de faire simplement communiquer les personnages entre eux. Il y a des erreurs de ton, de choix de mots, la faiblesse globale du vocabulaire, bref, lorsqu'on quitte les super-champions Ibn AL Rabin, Vanoli, Baladi ou Joann Sfar sur klezmer (j'en oublie volontairement des camions entiers, hein), on se retrouve avec une collection de beaux dessins, reliés en albums, et qu'on va gentiment placer sur l'étagère. C'est tout de même décevant.
La Bande-dessinée brille avant tout par son dessin, sa formidable richesse graphique lui permettant de proposer des univers aussi variés que la SF de Léo sur Aldébaran ou le Paris n&b de Tardi sur Brouillard au pont de Tolbiac, les super-héros américains, le minimalisme de Trondheim à ses débuts, le style pompier germé dans les années 80, bref, tout un spectre franchement réjouissant pour qui aime à contempler de beaux dessins. Oui mais la BD c'est surtout l'art de la séquence, c'est à dire de ce que l'auteur réussit à faire naître entre une case et sa suivante. Pour moi cette fluidité naît bien sur du talent graphique de l'auteur, la scène se devant d'être lisible mais surtout par la qualité intrinséque de ses dialogues qui doivent permettre le cheminement naturel d'une case à l'autre. le bon dialogue ne rompt pas le rythme de lecture, sauf si l'auteur manifeste cette volonté et qu'elle enrichie l'album par sa construction. Je lisais dernièrement La Fièvre d'Urbicande et, bien que développant un univers foisonant et passionnant, cet album pêche malgré tout sur les points relevés plus haut, tout y est parfait, sauf que lorsque les personnages s'adressent la parole, l'impression qu'ils ne se connaissent que depuis 5 minutes demeure à chacune de leurs interventions.
Franck Bourgeron pratique l'art dialogué magnifiquement, osant un vocabulaire élevé et sur cette Sainte Trinité pratiquant même jusqu'à une sorte de théatre dessiné, la situation appelant Brecht de tous ses voeux. Il s'agit d'une fantaisie, et religieuse de surcroît. Elle met en scène un grand d'Espagne chrétien, son valet juif et un vendeur ambulant, musulman. Tout ce petit monde refait le monde et son rapport à celui-ci en plein milieu d'un désert. La soif appelle les deux premiers, sans le sou, tandis que le troisième, glaçière en bandoulière se refuse de leur donner quoi que ce soit sans une retribution sonnante et trébuchante.
Il est évidemment plus que plaisant de lire cette fantaisie, qui place Dieu au centre de la dispute alors même qu'il s'agirait simplement de manger ou de boire, Franck Bourgeron a parfaitement su diriger notre regard vers cette illusion de problème, illusion qui convoque Dieu alors même que le Proche-Orient crêve la faim. Il s'agit d'une fantaisie, l'absurdité de la situation le rappelle sans cesse et pourtant cet album reste longtemps en tête après sa lecture, à la manière du Archipels de Bézian. Lui aussi convoquait Brecht mais aussi Joyce et quel regal !
Franck Bourgeron proposait avec Extrême-Orient puis Aziyadé deux livres fortement imprégnés d'Histoire, ou en tout cas dont la contingence épique relevait de celle-ci. La Sainte Trinité l'éloigne de cet univers pour le conforter dans une élégance graphique indéniable, tout parait facile à dessiner chez Bourgeron, mais surtout l'impression vivace que le dessin permet à l'histoire d'exister au delà de lui-même, renforce l'action et permet à l'auteur d'exprimer ensuite par les mots toutes les situations envisagées.





2 commentaires:

jyrille a dit…

Tu donnes envie, salaud. Comme tu as raison quand tu parles de bd, des fois.

thyuig a dit…

je suis tout rouge du compliment !

Merci !