mercredi 13 mars 2013

Piero Macola - Dérives (Atrabile 2010)



J'avais déjà beaucoup aimé Aller simple qui racontait le débarquement allié en Sicile et la déroute qui en découlait pour l'armée italienne. Avec Dérives, Piero Macola rend compte avec toute l'élégance qui caractérise son dessin d'un fléau qui paupérise des populations entières aux quatre coins du globe : la pêche industrielle. Finies les petites embarcations qui permettent de nourrir le possesseur de la barque et son aide, finie la revente au boutiquier du coin de la plage, finie la pêche vivrière.
Je parle de ce bouquin d'abord parce que Macola est assez unique dans son genre. L'utilisation de crayons de couleur, de craies sèches (?), appuient l’éther dans lequel il choisit de plonger ses personnages : ce pourrait être partout et ailleurs, c'est juste un endroit de plus où les gens crêvent. Il faut lire Dérives parce que Macola, comme ces pêcheurs, vit aujourd'hui un art en difficulté, coincé entre les gros auteurs, les grosses maisons d'éditions, les grosses librairies en ligne, et que son travail, si fin, si respectable, est infiniment noyé dans ce flux. Quel dommage de se priver de tels auteurs et de tels livres ! Merci à Atrabile de continuer d'éditer les ibn Al Rabin, Baladi, Bernadou, Fior, etc etc (ils sont tous là : http://atrabile.org/category/auteurshttp://pieromacola.wordpress.com/ )  !

Piero Macola - Dérives (Atrabile 2010)

La Brigade Chimérique - Lehman, Colin, Gess. L'atalante.



En ce moment, j'ai beaucoup de mal à lire. Enfin, surtout les romans. Je prends, lis quelques chapitres et repose le bouquin en l'oubliant. Rien ne m’intéresse vraiment, en tout cas en profondeur. J'ai bien réussi à lire  le fabuleux Sula de Toni Morrison, mais sorti de textes de cet ampleur, je n'ai pas vraiment envie de me coltiner des textes bancals, mal construits ou traduits, ni même des personnages juste dégrossis. Bref, je vois plus de défauts que de qualités, et dans ces cas-là, i vaut mieux arrêter de lire pour un temps.
Du coup, je rattrape mon retard de lecture en bande-dessinée, parce que quoiqu'on dise, c'est plus aisé à parcourir et demande moins d'effort au lecteur. Je ne parle pas de profondeur de propos, je parle dans la forme "sujet + dessin" qui, si c'est bien réalisé, se lit beaucoup plus facilement qu'un roman.
Aussi me suis-je replonger dans la lecture de La Brigade Chimérique, 6 tomes à L'Atalante par Serge Lehman, Fabrice Colin et Gess. Le contexte ? Une uchronie basée sur la première guerre mondiale mais avec des idéologies beaucoup plus marquées et identifiées : le nazisme bien entendu, mais aussi "Nous autres", équivalent du socialisme soviétique à la différence près que ce dernier se servirait d'énormes mannequins robots comme armement, un peu à la façon de ceux du Laputa de Myazaki.
Moi qui abordais cette chronique par ma difficulté à me coltiner des textes en pavés, me voilà bien avec cette Brigade Chimérique dont l'écriture dépend de deux romanciers issus de la SF de très haute qualité. Ici, l'action est détaillée, c'est dense, un peu embrouillé au début parce que le dessin de Gess n'est pas toujours clair (à sa décharge, je crois qu'il fallait aller très vite dans la réalisation).
Serge Lehman est un fan de comics et de super-héros, avec la Brigade Chimérique il en a repris le format mais surtout est allé recherché dans notre histoire européenne les super-héros que l'on avait crées : le nyctalope, le Docteur Mabuse, l'Accélérateur, mais aussi des Golems, une Phalange, etc etc... Lehman va les utiliser à la façon d'une mémoire collective, comme si ils avaient toujours fait partie du paysage. C'est là le point essentiel : à la façon du comics américain, la Brigade Chimérique agit comme si elle avait toujours existé, elle appartient à ce monde et l'idée de voir un super-héros se colter aux évènements tragiques des deux guerres mondiales est là aussi la très bonne idée de ce comics à la française.
Pour ceux que ça émoustillerait, il existe une intégrale à cette histoire. De même, Serge Lehman collabore avec Stéphane Créty (Acriboréa, le Sang du Dragon, les contes du Korrigan, etc) dans Masqué, là aussi une histoire de super-héros à la française, mais dans un contexte contemporain et dans un format Franco-belge classique. Une autre histoire avec Gess doit sortir également.

mardi 12 mars 2013


Parce que les enfants ont pris de plus en plus de place dans ma vie, parce que celle-ci s'est rétrécie l'année dernière avec la perte conjuguée de plusieurs personnes proches, ce blog parlera dorénavant de tout. Il abordera les lectures mais aussi la photographie, la musique, le patinage artistique et construira un igloo en Afrique, s'il trouve le temps.
J'imagine qu'il est nécessaire à chacun de se fabriquer un temps pour jouer. Il me semble, plus ça va que ce temps doit se dilater et emprunter tous les chemins de l'existence. Jouer devient une nécessité, une respiration. Mais ne respire-t-on pas à chaque instant ? Y'en a un peu ras-le-bol de devoir systématiquement trimer sans rien obtenir en retour.
Jouer est un obligation, et à la maison je viens de le passer par décret : "quiconque sera surpris à oublier que le jeu permet à chacun de s'exprimer correctement dans un univers où le moindre caillou devient un possible achat sera pendu par les pieds, au milieu du jardin".

mardi 2 février 2010

Le samouraï Bambou - Taiyou Matsumoto / Issei Eifuku

Ceux qui lisent un peu ce blog connaissent mon attachement quasi primal à la chose nippone et en particulier à la Geste samouraï du pays du soleil levant. Malgré tout je n'avais jusqu'à présent jamais évoqué ici les oeuvres de Taiyou Matsumoto dont je demeure pourtant vraiment client depuis ma lecture il y a quelques années d'Amer Béton. L'addition simple du talent de Matsumoto avec l'esprit de ce Japon médiéval ne pouvait que me faire vibrer et surtout me laisser espérer une grande oeuvre. De vous à moi et sans nécessairement retarder l'échéance, c'est parfaitement le cas. Matsumoto est un grand mangaka, dans le sens où dés qu'un sujet s'offre à sa plume, il le contraint à ses propres visées et visions de l'écriture.
D'un abord toujours aussi aride et difficile, les oeuvres de Matsumoto ne s'offrent pas en première lecture, elles demandent un poil de concentration mais aussi d'accepter les ruptures de tons dans la forme et dans la psychologie des personnages. Le dessin est vif, immédiat, et on le ressent brutalement dans ses imperfections. Rien n'est chiadé chez Matsumoto, le "Samouraï Bambou" ne fait pas mentir cette règle. Pas de crayonné, une plume qui tire à l'impulsion mais un résultat toujours vif, énigmatique dans son rendu.
Le pitch du "Samouraï Bambou" pourrait être celui de dizaine de manga prenant pour thème le Japon médiéval : un Samouraï, bretteur d'exception, entre en ville (ici Edo) pour tenter d'échapper à son passé et se racheter une conduite. Seulement voilà, Matsumoto n'est pas n'importe quel mangaka, son bretteur est rêveur (on pense ici à Number five et le personnage de Matriochka qui réussissait à plier le monde à ses rêves au point de ne pouvoir faire la distinction entre le réel et son double onirique, Blanc agissait de même dans "amer béton" également, bref, c'est une récurrence dans son oeuvre), s'entoure d'enfants, fuit le combat en ne l'envisageant qu'en dernier recours (là où tous les mangas s'emparent de ces situations pour les filer sur plusieurs dizaines de pages, Matsumoto les saisit en deux ou trois cases d'action pure) et maintenant que le tome 2 s'achève, semble influencé et traqué par une noirceur omnisciente qui ménace à tout instant de le faire chavirer. Bref, le personnage est dense et complexe, s'épaissit tandis que le monde qui l'entoure devient plus concret. C'est la force du mangaka, nous ammener à la compréhension de l'univers mis en place mais jamais en nous ménageant une voie franche, la voie du samourai est d'ailleurs un assemblage complexe de codes et d'interdictions, Matsumoto la fait sienne.
Le lecteur attentif aura remarqué l'adjonction d'un autre auteur à celui de Matsumoto sur ce manga. C'est une première dont j'ignore tout de la fécondité effective tant ce que je lis en parcourant les pages du "Samouraï Bambou" ressemble à ce je connais de Matsumoto seul, Issei Eiffuku semble pourtant être à l'origine du projet, peut-être est-ce lui qui donne l'impulsion à chacune des historiettes qui coposent les tomes (déjà 7 au Japon et une récompense au Japan Media Arts festival en 2007). Bref, encore un mot pour citer l'influence indéniable de Usagi Yojimbo, Senô semblant littéralement prolonger les errances complexes du lapin rônon élaboré par Sakaï. Une grande lecture en devenir en tout cas.


samedi 30 janvier 2010

Michaël Chabon - Le club des policiers yiddish

Les Juifs ne vivent plus en Israel, ils se sont faits jetés et ont obtenu dans la foulée une concession pour cinquante ans dans un endroit loin de toutes plages et cocotiers, le district de Sitka, en Alaska. Voilà le postulat de Chabon, postulat qui n'indique absolument pas toute la folie de cet écrivain polymorphe, coincé entre Chandler et Philip Roth, qui moque autant qu'il se moque de ses contemporains de Juifs.
Et donc les Juifs sont à Sitka, et Landsman se remet très moyennement de sa séparation, de la fin de la concession en Alaska accordée par les Américains (pour dans un mois seulement) et tout ça le déprime gentillement. Il piccole trop, dort mal et comme tout Juif qui se respecte, il ressasse les fautes commises non seulement par lui mais par tout un peuple. Voilà pour la déprime.
Le cadavre (dans tout roman policier il y a un cadavre) est celui de Mendel Shpilman dont on va apprendre quel rôle incroyable il pouvait jouer dans la communauté de Sitka, quels rêves il éveillait, quelles aspirations il déclenchait. Mais le mec es tmort, une balle dans la nuque, et la piste que remonte Landsman va le conduire à un complot de genre international, un truc fou, dément, qui pourrait bie navoir à faire avec un certain attentat du 11 septembre. Je vous laisse découvrir la suite.
Il me faut rendre hommage à l'écriture de Chabon. Elle est d'emblée ardue, utilisant à foison un argot yiddish (traduit en fin d'ouvrage) irrésistible, sholem, noz, patser, shammés etc etc... Et de l'emploi de ces mots va jaillir tout un imaginaire en forme de bulle, comme si Sitka existait vraiment, que la folie de ces gens était réelle, parce que plantée là, dans la langue même qu'utilise Chabon. C'est un joli tour de force, même si certaines phrases se dégusteraient davantage avec un peu plus de retenue, Chabon se permet quand même le luxe de ciseller ses 450 pages de roman, la toute grande classe.

lundi 7 décembre 2009

David Prudhomme -Rébétiko (la mauvaise herbe)

Rébétiko est une splendeur. Un rêve de bande-dessinée sensible qui fait le point sur un endroit de l'histoire assez connue, la diaspora Turque dans la Grêce du Général Métaxas. Le rébéte est ce Turque chrétien orthodoxe éxilé en Grêce et qui survit dans les milieux urbains interlopes. Pas vraiment brigand mais plutôt trafiquant, vivant de petits coups, et surtout, dans le cas qui nous intéresse et donc dans le livre de Prudhomme, le rébéte est un fantastique musicien. Il chante le blues des Balkans, une musique du quotidien qu'il accompagne de son bouzouki et dont les couplets reflétent les amours et les emmerdes de ces petits magouilleurs, amateurs de raki et de kiff.
Rébétiko raconte ainsi cinq hommes, cinq musiciens doués dont le talent se gorge d'orgies infinies et mémorables. La finesse de Prudhomme consiste à livrer brute la rudesse de ses personnages : ils sont sanguins et bagareurs, coureurs et noceurs, bringueurs et évidemment mauvais-coucheurs, mais Diable ! Ils sont vivants ! Et leur musique ? On jurerait l'entendre à mesure que l'on tourne les pages. Ce livre-là est une splendeur.
Prudhomme a réellement soigné son desin, ses couleurs et son découpage. Il n'hésite pas à faire durer la danse de l'ivrogne solidaire, montre les relations amour-amitié qui relient tous ces hommes. La musique est là, dans l'image. Et les émotions se submerger le lecteur lorsque l'image s'anime brutalement au détour d'un plongeon d'une barque ou au macabre scintillement de la lame d'un couteau. Le kiffe, l'alcool, la musique, les hommes... Quel beau livre.


Image extraite de blog de l'auteur (en lien en cliquant sur le titre) consacré à la création de ce livre.